Quelques mots d’histoire.

Comme je l’indique ici, avant d’entrer dans l’enseignement, j’ai longtemps travaillé à la radio.

Au cours de cette période qui s’étend sur près de quinze ans, j’ai passé quotidiennement un temps considérable à enregistrer toutes sortes de sons : machine à café, cage d’escalier, claviers d’ordinateurs, voitures, rues, métro, etc. Transformés, ces sons servaient d’illustrations : dans un jingle, une bande-annonce, une publicité ou un feuilleton radiophonique, ils contribuaient à capter l’attention en donnant au son une matérialité qu’il ne pouvait pas avoir par lui-même. Par exemple, pour illustrer le bruit du vent dans les branches d’un arbre, il faut pouvoir enregistrer et façonner des sons qui en suggèrent la consistance. Une feuille de papier, mixée au froissement d’un billet de banque, peut produire cet effet. Si le contexte le suggère aussi (une allusion au vent ou d’autres bruits), l’auditeur peut assez facilement reconnaître une ambiance qui lui est familière.

Les moyens techniques dont nous disposions à l’époque étaient assez peu pratiques : les magnétophones à cassettes étaient facilement transportables, mais les enregistrements, en raison du souffle que générait la bande magnétique, n’étaient pas toujours très audibles. Quant aux magnétophones à bande, ils étaient lourds et encombrants. Aujourd’hui, mon portable me suffit pour capter quelque chose que je veux retenir du moment.  

 
 
 
 

Mais ces contraintes techniques sollicitaient mon inventivité : pour reproduire un effet sonore impossible à imiter sans l’utilisation d’une chambre d’effets trop coûteuse à l’époque (de l’écho sur une voix, par exemple), il fallait bien se rendre à l’évidence : l’expérimentation tous azimuts constituait la seule voie possible.

De fait, lorsque j’ai cessé de travailler dans la radio, en 1995, c’est à cette pratique quotidienne du son qu’il m’a fallu renoncer. Le dessin et la peinture ont donc constitué une ressource importante dans cette transition. Le travail sur un support physique (papier, toile, bois, carton) requiert cependant un temps de mise en œuvre, de préparation et de séchage assez conséquent : même en utilisant certains matériaux (comme l’acrylique), les temps intersticiels (façonner un support, poser des sous-couches, laisser sécher, attendre une bonne lumière d’exposition, oublier le motif pour le voir à nouveau d’un œil neuf, etc.), même s’ils sont nécessaires, sont aussi contraignants. Or, actuellement, mes différentes activités ne me laissent pas disposer de ce temps-là.  

Les techniques numériques (palette graphique, tablette) permettent en revanche d’obtenir dans des délais raisonnables (quelques heures) un compromis satisfaisant quand on ne dispose pas de tout son temps pour s’y consacrer. Pour paraphraser Descartes qui parlait de « morale provisoire », je dirais donc volontiers que le recours au numérique constitue dans mon cas une « technique provisoire ».

 
 
 
 

Mais pas seulement. L’utilisation d’un support numérique est une pratique à part entière : apprentissage, expérimentation, tâtonnements, découvertes, surprises. L’expérience sensorielle en moins (pas d’odeurs, pas de tâches sur le sol ou sur soi), elle donne à penser au moins autant que les brosses à la main.  Elle autorise aussi un travail sur la répétition, le fragment, le collage, la duplication, qu’un support classique (du lin, du papier ou du bois) complique à souhait : par définition, en effet, si la pièce finie peut être imitée ou copiée (que l’on songe, par exemple, aux innombrables variations sur le portrait de Mona Lisa), le travail exécuté est un objet unique. Il n’est ni découpable, ni transposable. On ne peut donc pas le réutiliser. Au contraire, un assemblage de pixels peut être dupliqué. Il devient donc possible de s’en servir comme d’une trame ou d’une nouvelle esquisse. C’est ce travail que je donne à voir dans cette section du site ainsi que dans la galerie.

 

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