Debate, « unbinding »?

Many years ago, I made the following experience. One afternoon, while I was conversing with a cultivated person, a man for whom I have a great respect offered her a definition of freedom. I do not exactly remember this definition. However, I remember very clearly three things: first, the sentence that man improvised had the form of a question whose last words were: « that’s not it? »; second, this definition that had the form of a question was advanced with care: caution and doubt could be read clearly on the face of this man; third, it was a « situated » définition: it clearly showed that it was a reflection taken from life experiences including, in all likelihood, professional experiences he had personally lived. 

The answer to this question was not be long in coming: without taking none of the words that made this improvised definition, without taking the time to hear it again in its own logic, the educated person who was next to me explained to this man Kant’s conception of freedom as written in Foundations of the metaphysics of morals, in that particular section of Kant’s book devoted to one of the fundamental properties of the will, its autonomy. This scene was astonishing for me: how someone who has read Kant could think nothing of a question that requires as much dialogue? 

What we try to implement in the workshops of philosophy that I lead is precisely this: welcoming every word as it comes, striving to grasp what it has and is absolutely original, singular, irreplaceable, different, without opposing it nor contradiction, nor the academic knowledge that we recite without rethinking it, nor the expert, hyper-specialized objection that undermines from the foundations the opportunity to reflect in the group a thought that can be built on the occasion of personal experiences. 

There is a place for a dialectic and a critic which are neither those of the ping-pong debate (deafness) nor those of the punching bag dialogue (aggressiveness). That is what we have been living and experiencing for years now, since the creation of the workshop in 2007. But times are hard and « unbinding » affects social ties everywhere, including in places of knowledge.

This is what I propose you to live this Wednesday at the Utopia cinema in Saint-Ouen l’aumône, through a time of exchanges which will be held at the end of the screening of Midnight Special.


Débat, déliaison ?

Samedi 9 avril 2016

Il y a de cela de très nombreuses années, je fis l’expérience suivante. Un après-midi, alors que j’avais une conversation avec une personne cultivée, un homme pour lequel j’ai beaucoup de respect proposa à celle-ci une définition de la liberté. Je ne me souviens pas précisément de cette définition. Je me rappelle en revanche très clairement trois choses : premièrement, la phrase que cet homme improvisa se présentait sous la forme d’une question dont les derniers mots étaient : « c’est pas ça ? »; deuxièmement, cette définition en forme de question était avancée avec précaution : la prudence et le doute se lisaient à l’évidence sur le visage de cet homme; troisièmement, il s’agissait d’une définition située : elle témoignait manifestement d’une réflexion issue d’expériences de vie incluant selon toute vraisemblance des expériences professionnelles personnellement vécues. 

La réponse à cette question ne se fit pas attendre : sans reprendre aucun des mots qui composaient cette définition improvisée, sans prendre le temps d’en réentendre la logique propre, la personne cultivée qui se trouvait à mes côtés exposa à cet homme la conception kantienne de la liberté telle qu’elle est rédigée dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, dans cette section de l’ouvrage de Kant consacrée à l’une des plus fondamentales propriétés de la volonté, son autonomie. Cette scène fut pour moi sidérante : comment quelqu’un qui a lu Kant pouvait-il faire aussi peu cas d’une question qui appelle autant le dialogue ?

Ce que nous nous efforçons de mettre en œuvre dans les ateliers de philosophie que j’anime correspond très précisément à cela : accueillir ensemble chaque parole telle qu’elle est, en s’efforçant de saisir ce qu’elle présente d’absolument original, de singulier, d’insubstituable, de différent, sans lui opposer ni la contradiction, ni le savoir académique que l’on récite sans le penser, ni l’objection experte, hyper-spécialisée, qui sape dès les fondements la possibilité de réfléchir dans le groupe la pensée construite à l’occasion d’expériences personnelles. 

La place existe pour une dialectique et une critique qui ne soient ni celles du débat ping-pong (surdité) ni celle du dialogue punching ball (agressivité). Depuis 2007 que l’atelier existe, les occasions de vivre cela n’ont pas manqué. 
Mais les temps sont rudes et la déliaison qui affecte les liens sociaux est sensible partout y compris dans les lieux de savoirs. 

C’est ce que je vous propose de vivre ce mercredi, au cinéma Utopia de Saint-Ouen l’Aumône, à travers un temps d’échanges qui aura lieu à l’issue de la projection du film Midnight Special.